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Notre histoire

Notre histoire, notre héritage

Le Rassemblement-LR que nous connaissons aujourd’hui, notre Rassemblement, est l’héritier officiel du RPCR qui a dominé la vie politique calédonienne de la fin des années 1970 jusqu’à l’année 2004. Il a notamment été acteur et porteur des Accords de Matignon de juin 1988 et de Nouméa de mai 1998.

 

Il nous a paru nécessaire, notamment pour les jeunes générations, nos jeunes militants, de transmettre la mémoire de ce grand parti politique calédonien porteur d’une histoire, toujours acteur du temps présent et qui entend le rester pour l’avenir, afin de faire en sorte que cet avenir à construire en permanence soit enrichi par la mémoire de l’histoire du Rassemblement ,qui elle-même se confond avec une partie de l’histoire de notre Nouvelle-Calédonie.

 

Nos nouveaux adhérents et en particulier nos jeunes, mais aussi les plus anciens y trouveront ou retrouveront la mémoire d’un passé, pour mieux comprendre notre présent et mieux préparer notre avenir. Ainsi l’édification de notre avenir se construira de notre mémoire. Un grand merci à Luc STEINMETZ, auteur de ce récit précieux.

1977: Le début du Rassemblement

La naissance du RPC

Né en avril 1977, le RPC (Rassemblement pour la Calédonie) est devenu le RPCR  (RPC dans la République) en juillet 1978.

Le contexte de la naissance du RPC

Les années 1968-1969 marquent un tournant dans la vie politique calédonienne avec la naissance de la revendication indépendantiste. Parti dominant sur l’échiquier local, l’Union calédonienne (UC) mouvement autonomiste dirigé par Maurice Lenormand a été fondé en 1956 sur la volonté de maintenir « des liens indéfectibles avec la Mère-Patrie, la France ». Mais il perd sa majorité à l’Assemblée territoriale en septembre 1972 en raison de défections sur sa gauche et sur sa droite liées à des tendances indépendantistes qui apparaissent en son sein. C’est que l’année 1969 et les années 1970 marquent le début de la revendication indépendantiste avec la naissance de mouvements à la marge ou de partis dissidents de l’UC. Ainsi naissent les Foulards rouges de Nidoish Naisseline (composé essentiellement de militants des Iles Loyautés), l’Union multiraciale de Yann Céléné Uregei qui va plus tard se transformer en FULK (Front uni de libération kanak). Cette revendication indépendantiste sur sa gauche va pousser l’UC à se radicaliser avec pour conséquence de pousser des élus opposés à l’indépendance et fidèles au programme d’origine de l’UC à faire dissidence et à fonder le MLC (Mouvement libéral calédonien) autour de Jean Lèques, de Georges Nagle et de Marc Oiremoin. Le MLC rejoint ainsi le camp des deux autres partis hostiles à l’indépendance : l’EDS (Entente démocratique et sociale de Jacques Lafleur et Roger Laroque) et l’UD (Union démocratique de Georges Chatenay et Dick Ukeiwë).

Les positions indépendantistes s’affirment : en février 1975 le Groupe 1878 (issu de militants de la Grande Terre) proclame la lutte pour l’indépendance kanak. C’est en 1975 aussi qu’est signé à La Conception le Manifeste pour l’indépendance. En mai 1976 le Palika (Parti de Libération kanak, qui regroupe les Foulards rouges et le Groupe 1878) est fondé. La pression est alors très forte sur l’UC pour qu’elle opte elle-aussi pour l’indépendance en rupture avec ses engagements de sa création en 1956. Finalement en juillet 1977, à son congrès de Bourail, l’UC fait le choix de l’indépendance.

Alors que l’idée d’indépendance s’affirme, Jacques Lafleur juge que face à ce danger, un combat politique nouveau s’ouvre pour la Nouvelle-Calédonie. Il est donc important et même vital pour combattre l’idée d’indépendance et les partis qui la portent de rassembler toutes les forces qui la refusent. C’est la raison pour laquelle il crée le 17 avril 1977 le RPC, le Rassemblement pour la Calédonie.

La naissance du RPC – 17 avril 1977 

La naissance et l’affirmation des idées indépendantistes ont émergé aux élections municipales de mars 1977 où, à côté de la vieille UC à ce moment là toujours officiellement autonomiste, se sont présentées des listes indépendantistes sous les étiquettes du Palika et du FULK, tandis que certaines listes UC affichaient déjà un programme indépendantiste (celle de Jean-Marie Tjibaou à Hienghène par exemple). Alors que des listes « non-autonomistes » (EDS, UD et MLC) recueillaient à ces municipales près de 53 % des suffrages, les listes indépendantistes faisaient 12 % des voix laissant les partis encore autonomistes (UC, UPM et PSK) se partager les 35 % restants.

Cette percée indépendantiste accompagnait le déclin de l’UC qui avait déjà perdu aux élections territoriales de septembre 1972 son rang de premier parti politique du Territoire.

C’est dans ce contexte que Jacques Lafleur, alors membre EDS du Conseil de gouvernement, a pris la décision de regrouper dans un grand rassemblement tous les partis politiques favorables au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France.

C’est le 17 avril 1977, dans ce qui était encore le stade Georges Brunelet à Nouméa qu’à l’appel de Jacques Lafleur, des milliers de Calédoniens se sont retrouvés, venant de tous les coins du Territoire, de Nouméa et des communes environnantes, de la côte ouest, de la côte est, de l’Île des Pins et des trois Loyauté. Le stade Brunelet est devenu ce jour-là un grand manteau de drapeaux tricolores au milieu des banderoles portées par une foule pluri-ethnique à l’image de la population calédonienne.

C’est à l’occasion de ce grand rassemblement qu’a été officiellement créé le RPC (Rassemblement pour la Calédonie) et rendu public le Manifeste du RPC qui s’appuyait sur le discours de Jacques Lafleur. Ce manifeste se concluait par la Charte du Rassemblement fondant les valeurs et les principes du nouveau parti qui s’articulaient autour de six points forts :

  • L’anti-indépendantisme dans le cadre institutionnel pour la Nouvelle-Calédonie du statut de Territoire d’outre-mer de la République et l’attachement de sa population à la Nation française, avec la volonté pour ces populations d’assurer la responsabilité de gérer leurs propres affaires.
  • L’affirmation que la société calédonienne est une société pluriethnique et qu’elle doit le demeurer, ce qui implique le rejet du racisme et de toutes les entreprises de division,  de manière à assurer la promotion, dans l’harmonie, de la société calédonienne.
  • La notion d’attachement à la France ayant été clairement définie, la charte rappelle la double obligation de la Métropole à l’égard du Territoire : faire jouer la solidarité nationale en cas de besoin et revoir le contrôle exclusif de l’État sur l’exploitation des ressources minières calédoniennes tel qu’il résulte de deux lois Billotte de 1969.
  • L’attachement à l’économie libérale pour assurer le développement du pays tout en ayant le souci de la justice sociale.
  • Un train de mesures prioritaires avec une réforme électorale pour permettre de dégager une majorité réelle et stable à l’Assemblée territoriale ; une réforme foncière pour régler de manière équitable le problème des terres dans l’ordre et la légalité ; le lancement du projet d’usine du Nord ; des mesures de sauvetage de l’économie avec des investissements publics pour résorber le chômage et des investissements appuyés sur des conditions de crédit à long terme qui n’existaient pas alors en Nouvelle-Calédonie ;
  • La charte se terminait par l’affirmation que seul le rassemblement des Calédoniens pouvait permettre à la Nouvelle-Calédonie de préparer sereinement son avenir dans la France.

Dans ce RPC qui venait de naître se regroupaient : l’EDS autour de Roger Laroque et de Jacques Lafleur ; une partie de l’UD gaulliste avec Dick Ukeiwë qui avec des amis avait fondé en février 1977 la fédération locale du RPR de Jacques Chirac ; les jeunes giscardiens de GSL(Génération sociale et libérale) autour de Pierre Maresca et de Pierre Frogier ; une partie de la communauté wallisienne et futunienne emmenée par Petelo Manuofiua.

Roger Laroque, maire de Nouméa, devenait le président du RPC.

Jacques Lafleur organisait un second rassemblement en août 1977 à Pouembout  pour marquer l’enracinement du nouveau parti dans cette autre facette de la vie calédonienne qu’est la « Brousse ».

Aux élections portant renouvellement de l’Assemblée territoriale de septembre 1977, le nouveau RPC devint le premier parti du Territoire et put former avec d’autres partis comme le MLC de Jean Lèques, une majorité anti-indépendantiste.

 

Du RPC au RPCR (1977-1978)

L’année 1978 commençait avec une échéance électorale importante pour le RPC : c’est en mars qu’à l’occasion du renouvellement de l’Assemblée nationale, la Nouvelle-Calédonie devait pour la première fois élire deux députés. Depuis 1951, avec d’abord Maurice Lenormand puis Roch Pidjot, c’était l’UC qui détenait le seul poste de député. Or, la nouveauté de ces élections législatives c’était la création d’une deuxième circonscription législative pour permettre au Territoire d’avoir un député supplémentaire car sa population avait augmenté. La création de ce deuxième siège a entraîné le découpage de la Nouvelle-Calédonie en deux circonscriptions : la première englobait l’Île des Pins, la côte est et les Loyauté ainsi que les ressortissants français des Nouvelles-Hébrides tandis que la deuxième couvrait toute la côte ouest de Nouméa à Poum et Bélep.

Le RPC a présenté un candidat dans chaque circonscription : Dick Ukeiwë dans la première était opposé à trois indépendantistes dont le député sortant Roch Pidjot de l’UC tandis que dans la deuxième circonscription Jacques Lafleur se retrouvait face à deux candidats indépendantistes.

Jacques Lafleur était élu dès le premier tour avec 55,2 % des suffrages devant François Burck de l’UC.

Dans la deuxième circonscription, Rock Pidjot arrivait en tête avec 34,6 % des voix suivi par Dick Ukeiwë qui en obtenait 28 %. Il y avait donc ballotage. Au deuxième tour, c’est Rock Pidjot qui était réélu avec 59 % des voix contre 41 % à Dick Ukeiwë

Sur l’ensemble des deux circonscriptions, pour la seule Nouvelle-Calédonie (en ne prenant pas en compte les votes des Français des Nouvelles-Hébrides), les voix non-indépendantistes représentaient 60 % des suffrages exprimés, ce qui signifiait que si le Territoire n’avait conservé qu’un seul député, Rock Pidjot aurait été battu.

Après sa victoire aux élections territoriales de septembre 1977 et après celles des législatives de 1978, le RPC devenait par son député à l’Assemblée nationale le porte-parole de la majorité des Calédoniens hostiles à l’indépendance auprès des instances parisiennes.

Mais cette élection de Jacques Lafleur devait avoir pour conséquence des transformations au sein du RPC. Avant l‘élection, la question s’était posée de savoir dans quel groupe parlementaire Jacques Lafleur allait siéger au sein de l’Assemblée nationale. Avant son élection, Jacques Lafleur avait pris des contacts avec Jacques Chirac qu’il avait rencontré à Paris et qui en décembre 1976 avait pris la tête du parti gaulliste l’UDR en le transformant en RPR lequel au plan national devint le premier parti français après les législatives de mars 1978. Or, il y avait au sein du RPC des sensibilités centristes ou giscardiennes qui ne voyaient pas d’un bon œil le pas de Jacques Lafleur en direction du parti chiraquien.

Finalement le choix de Jacques Lafleur de siéger au sein du groupe RPR à l’Assemblée nationale a entamé la transformation du RPC en RPCR, consacrée par la visite de Jacques Chirac en Nouvelle-Calédonie en juillet 1978. À cette occasion, Jacques Chirac a officialisé cette transformation en « constatant, ici en Nouvelle-Calédonie, l’existence d’un RPCR, le Rassemblement pour la Calédonie dans la République ». RPCR que le MLC de Jean Lèques ralliait à son tour.

Mais l’alliance du RPCR avec le RPR n’a pas fait l’unanimité et certains de ses éléments centristes et giscardiens devaient le quitter, dont le sénateur Lionel Cherrier qui devait rester fidèle au Parti républicain (le PR était alors principal parti qui soutenait Valéry Giscard d’Estaing) et pendant quelques temps encore à la cause de la Nouvelle-Calédonie dans la France.

Fort de ses succès électoraux, le RPCR était en position de force pour affronter la suite de l’histoire calédonienne dans les déchirements des années 1980.

1978-1979: Le temps du « vent mauvais »

Les élections territoriales de septembre 1977 qui mettaient en place le statut Stirn (du nom du secrétaire d’État aux DOM-TOM) avaient permis au Rassemblement de devenir le premier parti du Territoire et logiquement la vice-présidence du Conseil de gouvernement était revenue à un de ses membres, André Caillard, qui pouvait s’appuyer sur une majorité de 5 conseillers au sein de l’institution face à 2 UC.

Devenu RPCR en juillet 1978, le mouvement n’avait pas la majorité absolue à l’Assemblée territoriale et devait compter avec tous ceux qui, se déclarant encore à ce moment-là non indépendantistes avaient soutenu le Rassemblement pour constituer une majorité contre les indépendantistes à l’assemblée tout en refusant au fond le leadership de Jacques Lafleur et sa volonté de fédérer autour de lui tous les partisans de la Nouvelle-Calédonie dans la France. Mais le problème était que du fait de l’élection de l’Assemblée territoriale à la proportionnelle intégrale, il y avait 11 partis représentés en son sein, dont 5 se partageaient 8 sièges parmi lesquels 5 n’avaient qu’un seul élu. Cet émiettement, associé à la versatilité humaine, rendaient fragile l’existence du Conseil de gouvernement d’André Caillard.

Le 29 septembre 1978, un an après son entrée en fonction, l’Assemblée territoriale rejetait deux projets de réforme fiscale préparés par le gouvernement Caillard dont l’un tendait à introduire l’impôt sur le revenu en Nouvelle-Calédonie. Ce vote était suivi par la démission des membres RPCR du Conseil de gouvernement et le 31 octobre l’Assemblée faisait tomber le gouvernement en votant contre lui une motion de censure soutenue naturellement par les élus indépendantistes de l’UC et du Palika, mais aussi du PSC (Parti socialiste calédonien) d’Alain Bernut et de l’UNC (Union pour la Nouvelle-Calédonie) de Jean-Pierre Aïfa. Ainsi, des conseillers territoriaux qui avaient été élus sur une étiquette non-indépendantiste en 1977 avaient voté avec les indépendantistes pour faire tomber le gouvernement d’André Caillard. Le nouveau conseil de gouvernement élu le 14 novembre après cette censure réduisait à 3 membres la représentation du RPCR dans cette institution alors que l’UC en obtenait 3 et avec le nouvel élu PSC faisait élire Maurice Lenormand de l’UC Vice-président du Conseil de gouvernement en remplacement d’André Caillard. Dans la foulée, Jean-Pierre Aïfa leader de l’UNC qui avait passé un accord avec l’Union calédonienne était élu président de l’Assemblée territoriale à la place du RPCR Dick Ukeiwë.

Cet épisode avait mis en évidence les défauts d’un mode de scrutin où l’application de la représentation proportionnelle intégrale pour élire l’Assemblée territoriale favorisait l’émiettement des partis rendant impossible la constitution d’une majorité stable en même temps qu’il permettait à des petits partis de jouer les faiseurs de majorité.

Une réforme devait intervenir pour assurer plus de stabilité aux institutions calédoniennes minées par la multiplication des petits partis. Ce fut l’objet de la loi du 24 mai 1979 (dite statut Dijoud, du nom du secrétaire d’État au DOM-TOM) qui portait de 35 à 36 membres le nombre de conseillers territoriaux mais surtout instaurait une barre de 7,5 % des inscrits pour permettre à une liste de participer à la répartition des sièges au sein de l’Assemblée territoriale. Le mode d’élection  du Conseil de gouvernement était aussi modifiée avec l’application du scrutin de liste majoritaire en remplacement de la représentation proportionnelle alors que ses membres étaient dotés de responsabilités individuelles avec l’animation et le contrôle de secteurs de l’administration territoriale sans avoir cependant le titre de ministres.

Aux élections de l’Assemblée territoriale qui mettaient en place le nouveau statut, le 1er juillet 1979, sur 36 sièges le RPCR sortait en tête avec 15 élus mais n’arrivait pas à la majorité absolue et avec l’appui de la FNSC (Fédération pour une nouvelle société calédonienne de Jean-Pierre Aïfa) constituait une majorité de 22 sièges tandis que le Front indépendantiste (FI) en obtenait 14. Ce FI était avant le FLNKS la première coalition constituée le 4 juin 1979 par les différents mouvements indépendantistes de Nouvelle-Calédonie en vue des élections à l’Assemblée territoriale du 1er juillet 1979 afin de constituer une majorité visant à obtenir la souveraineté et l’indépendance de Kanaky en se servant des institutions existantes.

Des 11 partis représentés dans la précédente assemblée, il n’en restait plus que 3 dont 2 non-indépendantistes. Leur entente devait permettre d’espérer une majorité de gouvernement stable et durable.

Justement, le Conseil de gouvernement « majoritaire » issu de ce renouvellement de l’Assemblée territoriale portait la marque de cette « Entente nationale » non-indépendantiste créée par l’accord passé entre le RPCR et la FNSC. Dick Ukeiwë du RPCR était élu le 6 juillet 1979 à la tête du Conseil de gouvernement où siégeaient 7 membres dont 5 RPCR et 2 FNSC. De son côté, Jean-Pierre Aïfa conservait la présidence de l’Assemblée territoriale, mais cette fois-ci grâce aux voix du Rassemblement.

La nouvelle Assemblée territoriale élue pour 5 ans et le nouveau Conseil de gouvernement à majorité RPCR, reflets tous deux du choix démocratique d’une majorité non-indépendantiste des Calédoniens avaient en principe 5 ans devant eux, la durée complète d’une mandature, et pouvaient espérer être en place jusqu’en 1984. C’était sans compter sur l’arrivée au pouvoir des socialistes et des communistes à Paris en mai 1981 avec l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République, élection qui devait marquer l’entrée dans la période funeste dite des « Événements ». Dans cette nouvelle période de l’histoire calédonienne, le RPCR devait être le moteur de la résistance pour la défense de la Nouvelle-Calédonie dans la France.

1979-1981: Le ciel se couvre et ce n’est qu’un début…

Les élections à l’Assemblée territoriale du 1er juillet 1979 avaient confirmé la place du RPCR comme la première force politique de Nouvelle-Calédonie avec 40,24 % des suffrages et 15 des 36 conseillers territoriaux. Mais pour constituer une majorité à l’assemblée et donc au conseil de gouvernement le Rassemblement devait compter sur la FNSC qui avait créé la surprise en recueillant 17,82 % des voix et 7 sièges tandis que le Front indépendantiste avait obtenu 34,4 % des voix et 14 élus. La FNSC composée d’une alliance de plusieurs petits partis unis essentiellement sur leur rejet de Jacques Lafleur et du RPCR, mais qui à ce moment-là s’annonçait opposée à l’indépendance comme elle l’avait affirmé pendant la campagne électorale, se trouvait en position de force pour être « faiseuse de majorité ».
Pour constituer une majorité à l’Assemblée territoriale et prétendre à diriger le conseil de gouvernement, le RPCR se trouvait dans la situation de devoir s’entendre avec ses anciens alliés de 1977 qui avaient provoqué la chute du gouvernement Caillard. C’est pourtant la voie qui a été choisie et qui a permis de mettre en place le 6 juillet 1978, sous l’étiquette d’Entente nationale, un conseil de gouvernement RPCR/FNSC dont notre ami Dick Ukeiwë devenait le vice-président.

C’est ce gouvernement Ukeiwë qui accueillait le Président de la République Valéry Giscard d’Estaing en visite officielle en Nouvelle-Calédonie du 17 au 19 juillet. Dick Ukeiwë dans son discours d’accueil lui demanda, au nom de la majorité de la population calédonienne, d’affirmer « que la Nouvelle-Calédonie c’est la France et que rien, jamais, ne pourra l’en séparer ». La réponse de VGE a été prudente quand il a rappelé que la France est le pays des droits de l’homme mais que la devise de la République « Liberté, égalité, fraternité » ne devait pas être seulement un rappel de « slogans historiques mais des objectifs de vie quotidienne » à mettre en œuvre par l’action politique.
Ce à quoi s’est attelée l’Assemblée territoriale en votant le 20 janvier 1980 sur proposition du conseil de gouvernement une taxe de solidarité sur les hauts revenus, puis en donnant le 2 septembre 1980 un avis favorable au projet de réforme foncière chère au secrétaire d’État aux DOM-TOM Paul Dijoud.

Mais sur le terrain politique, la situation inquiétait avec la multiplication des manifestations indépendantistes tandis qu’une mission du Front indépendantiste (FI) créé en juin 1979, se rendait à New York au siège de l’ONU puis à Paris en novembre 1979. La partie parisienne de la mission se terminait par deux déclarations communes du FI, l’une avec le parti socialiste dont François Mitterrand était le premier secrétaire et l’autre avec le parti communiste français, déclarations qui portaient sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie.

C’est dans ce contexte que l’on s’acheminait vers les élections présidentielles de 1981 alors que l’année précédente, à son XIe congrès, l’Union calédonienne s’était prononcée pour l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie dès 1982.

Pour les électeurs calédoniens opposés à l’indépendance, giscardiens ou non, voter à droite c’était affirmer leur attachement à la France face la gauche et à François Mitterrand qui lors d’un entretien avec la mission du Front indépendantiste à Paris en novembre 1999 s’était engagé en faveur de l’autodétermination et de l’émancipation de la Nouvelle-Calédonie, ce que les leaders indépendantistes avaient interprété comme une position favorable à l’indépendance. Ce qui explique leur engagement en faveur du candidat socialiste.
Le 10 mai 1981, pour l’ensemble français, François Mitterrand était élu Président de la République, mais en Nouvelle-Calédonie, Valéry Giscard d’Estaing au second tour avait recueilli 65.5 % des suffrages exprimés contre 34,5 % pour François Mitterrand. En votant très majoritairement pour VGE, la Nouvelle-Calédonie avait voulu manifester sa volonté de rester dans la France. Mais si l’élection de François Mitterrand avait été accueillie avec joie et espoir par les indépendantistes, c’était l’inquiétude qui dominait du côté de ceux qui s’opposaient à l’indépendance.

Dans ce nouveau contexte politique, le rôle du RPCR devait s’avérer déterminant dans le combat pour le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France. Les élections législatives consécutives à la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par François Mitterrand après son installation à l’Élysée ont été le premier acte de ce combat. Le RPCR, suivi par son électorat, devait y confirmer sa force.

Pour ces législatives, la 1ère circonscription était purement calédonienne (côte est et Loyauté) car amputée des Français des Nouvelles-Hébrides devenues indépendantes. Roch Pidjot se représentait pour l’UC mais il avait quatre concurrents : deux ont été éliminés dès le premier tour dont le candidat FNSC Lionnel Cherrier. Roch Pidjot sortait vainqueur de la triangulaire du deuxième tour avec 41,9 % des voix tandis que le RPCR Henri Wetta en obtenait 35,2 %.

Dans la 2ème circonscription (côte ouest), Jacques Lafleur qui était candidat pour le RPCR avait face à lui 8 compétiteurs dont deux des plus importants étaient Stanley Camerlynck pour la FNSC et François Burck pour l’UC. Il était réélu dès le premier tour avec 54,3 % des voix.

Une nouvelle fois, la Nouvelle-Calédonie sur l’ensemble de ses deux circonscriptions avait fait un choix opposé majoritairement à l’indépendance. Le pouvoir socialiste et ses alliés communistes aux commandes à Paris allaient-ils en tenir compte ?

1981 - 1982: Voici venir l’orage…

À Paris, avec l’élection le 10 mai 1981 de François Mitterrand à la Présidence de la République et de la majorité socialo-communiste à l’Assemblée nationale issue des législatives qui l’on suivie en juin, une nouvelle orientation politique à la marche des affaires calédoniennes allait être donnée par le pouvoir central. Ses principaux acteurs en ont été rue Oudinot Henri Emmanuelli nommé secrétaire d’État aux DOM-TOM et à Nouméa Christian Nucci ancien instituteur et militant socialiste, député depuis 1978, nommé parlementaire en mission et à ce titre envoyé en Nouvelle-Calédonie comme haut-commissaire. Tous deux ont entrepris d’y affaiblir les loyalistes et tout d’abord le RPCR et en même temps de favoriser les indépendantistes. Ils ont su trouver pour cette tâche des alliés locaux.

Tandis qu’à Paris, une loi d’habilitation était adoptée par la seule Assemblée nationale le 4 février 1982 autorisant le gouvernement central à légiférer par ordonnances en Nouvelle-Calédonie pour accélérer les réformes, foncière d’abord mais encore de reconnaissance de la culture kanak, à Nouméa les deux partis RPCR et FNSC qui gouvernaient depuis 1979 sous l’étiquette d’Entente nationale ne cessaient de se diviser sur la forme de la réforme foncière, le type de fiscalité et au fond sur le degré d’autonomie à accorder à la Nouvelle-Calédonie. Le RPCR était sur ce dernier point très soucieux d’éviter que l’autonomie puisse être une étape préparatoire à l’indépendance. Dick Ukeiwë disait déjà « les autonomistes sont des indépendantistes honteux ».

C’est sur la fiscalité que l’Entente nationale allait éclater. Le 11 janvier 1982, les 7 conseillers territoriaux de la FNSC votaient avec les indépendantistes et contre leurs alliés RPCR au conseil de gouvernement la création de l’impôt sur le revenu en Nouvelle-Calédonie. Le haut-commissaire Christian Nucci soutenait cette démarche en la rendant rapidement exécutoire. Le 8 juin 1982, les deux membres du gouvernement FNSC démissionnaient de leur poste et le 11 juin à l’Assemblée territoriale, la FNSC s’associait au Front indépendantiste pour faire tomber le gouvernement de Dick Ukeiwë en votant contre lui une motion de censure. Le 15 juin, un nouveau conseil de gouvernement FI/FNSC était élu et portait l’indépendantiste Jean-Marie Tjibaou à sa tête.

Avec l’appui de la FNSC, les indépendantistes minoritaires à l’Assemblée territoriale revenaient au pouvoir en 1982, cette année même que l’Union calédonienne lors de son XIe congrès d’avril 1980 avait décidé qu’elle devait être celle de l’accession à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. C’est dire si l’heure était grave.
Pour protester contre ce renversement de majorité, soutenu par le pouvoir socialiste, les loyalistes dont le RPCR était le moteur s’organisaient en Comité de liaison pour la défense des institutions, demandaient la dissolution de l’Assemblée territoriale, descendaient dans les rues, provoquaient une grève générale.

Surtout, pour montrer au pouvoir central socialo-communiste que ce renversement de majorité était une grave atteinte à la démocratie et que la majorité des Calédoniens la désapprouvaient, Jacques Lafleur démissionnait de son mandat de député le 6 juillet 1982 et provoquait ainsi une élection législative partielle dans la première circonscription, la plus peuplée. Par cette démission, Jacques Lafleur voulait montrer que la population calédonienne condamnait la manœuvre FI/FNSC soutenue par le pouvoir parisien et par le haut-commissaire Christian Nucci qui en avait été le chef d’orchestre local.

À l’élection législative partielle du 5 septembre le RPCR et Jacques Lafleur ne retrouvaient face à eux aucun candidat de la majorité de circonstance au pouvoir puisque le FI et la FNSC (de peur d’être désavouée) ne présentaient pas de candidat et prônaient l’abstention. Seul Michel Jacquet affrontait le député sortant tout en se proclamant adversaire de l’autonomie et de l’indépendance. Jacques Chirac maire de Paris, ancien Premier ministre et président du RPR était venu à Nouméa pour soutenir le candidat RPCR.

L’élection devait tourner au plébiscite pour Jacques Lafleur qui obtenait 91,42 % des suffrages exprimés, véritable désaveu des manœuvres du pouvoir socialiste et de leurs alliés locaux. L’électorat FNSC mécontent de l’alliance de leur parti avec les indépendantistes, alliance décidée par leurs dirigeants, s’était reporté en masse vers le candidat du RPCR.

Après le coup de tonnerre de cette année 1982, tout devait s’accélérer pour mener à la période dite des « Événements » de 1984, en passant par les entretiens de Nainville-les-Roches de juillet 1983.

Le RPCR les abordaient avec la conscience du combat à mener.

1982 - 1984: Vers l'explosion

À partir de la présidentielle de mai 1981 qui avait vu l’élection de François Mitterrand, la situation politique en Nouvelle-Calédonie devait évoluer rapidement, bien que le nouveau président n’ait recueilli qu’un tiers des suffrages des Calédoniens et que les mouvements politiques se réclamant de l’indépendance n’avaient pas obtenu de majorité aux élections locales de 1979. Mais les indépendantistes avaient pu prendre la tête du Conseil de gouvernement grâce à la manœuvre de 1982 et au renversement de majorité rendu possible par le jeu de la FNSC et de la bienveillance du pouvoir socialiste et de son représentant en Nouvelle Calédonie le haut- commissaire Christian Nucci. Dès lors la situation devait évoluer au point de devenir explosive et le RPCR allait mener le combat, soutenu par l’esprit de résistance et l’ardeur de la majorité des Calédoniens.

Comment expliquer cette marche vers l’explosion ?

La réponse à cette question tient principalement au fait que dès l’élection de François Mitterrand, les indépendantistes n’ont cessé de s’imaginer que la victoire de la gauche à la présidentielle était synonyme d’indépendance prochaine. Pourquoi ? Parce que déjà dans le programme commun de gouvernement de juin 1972 la gauche reconnaissait le droit à l’autodétermination des Dom-Tom. En ce qui concerne les TOM et la Nouvelle-Calédonie le projet du parti socialiste soutenait les « forces (dites) progressistes » et promettait une fois au pouvoir d’assurer aux peuples d’outre-mer la possibilité d’accéder à l’indépendance, dès lors qu’ils en exprimaient le souhait. Promesse que l’on retrouvait dans les 110 propositions du candidat Mitterrand et dans sa profession de foi pour l’élection présidentielle.

Une fois élu, le Président Mitterrand recevait à deux reprises en juin et octobre 1981 une délégation du Front d’indépendantiste. Entre-temps, l’indépendantiste Pierre Declercq était tué dans des conditions jusqu’ici demeurées inexpliquées. C’est à partir de cette époque que l’ordre et la sécurité des personnes ont été gravement menacés en Nouvelle-Calédonie.

Cette situation conduisait le gouvernement central à engager ici une politique de réformes qui se concrétisait dans un premier temps par le recours aux ordonnances avec l’aval du Conseil de gouvernement FI/ FNSC.

L’autre étape essentielle de la politique du pouvoir socialiste a été la Table ronde de Nainville-les-Roches réunie en juillet 1983 à l’initiative du socialiste Georges Lemoine qui avait succédé à Henri Emmanuelli au secrétariat d’État à l’outre-mer. À Nainville-les-Roches se sont retrouvés des représentants du RPCR autour de Jacques Lafleur, du Front indépendantiste autour de Jean-Marie Tjibaou, de la FNSC et d’une dissidente (déjà…) du RPCR, Marie Paule Serve, invitée personnelle du secrétaire d’État. Hilarion Vendegou était présent lui-aussi en qualité de représentant du Conseil des Grands Chefs.

La déclaration de clôture de cette table ronde ne pouvait du fait de sa rédaction ambiguë engendrer que les pires malentendus eux-mêmes porteurs de graves dangers. Cette déclaration portait sur :
– La volonté commune des participants de voir confirmée l’abolition du fait colonial ;
– La reconnaissance de la légitimité du peuple kanak premier occupant se voyant reconnaître en tant que tel un droit inné et actif à l’indépendance dont l’exercice devait se faire dans le cadre constitutionnel du droit à l’autodétermination, droit ouvert aux autres ethnies dont la légitimité était reconnue par les représentants du peuple kanak ;
– Favoriser l’exercice de l’autodétermination et pour s’y préparer, élaborer un statut d’autonomie interne « évolutif » et devant marquer une phase de « transition ».

La déclaration de Nainville-les-Roches n’a recueilli l’accord que du Front indépendantiste et de la FNSC et a fait l’objet de réserves du RPCR qui a refusé de la signer. Jacques Lafleur et le RPCR se sont opposés à ce texte ambigu sur le caractère évolutif et de transition du nouveau statut (« évolutif » et « de transition » vers quoi ?) et sur la composition du corps électoral avec l’ouverture du droit de vote fondée sur la notion de « victimes de l’Histoire » avancée par le Front indépendantiste, victimes reconnues par les Kanak et qui se limitaient aux seuls descendants de bagnards ou déportés et excluaient les métropolitains, wallisiens-et-futuniens, tahitiens, antillais, indonésiens, vietnamiens etc. Ce texte a donné le sentiment chez beaucoup de Calédoniens que le gouvernement central favorisait les thèses des indépendantistes et il a sans doute incité ceux-ci à accélérer le processus d’autodétermination en précisant que le vote ne serait ouvert qu’aux Kanak sous réserve d’extensions admises par eux seuls et dès lors incertaines.

Le nouveau statut issu de la table ronde de Nainville-les-Roches dit statut Lemoine, soumis pour avis à l’Assemblée territoriale, a été rejeté par les indépendantistes et le RPCR et approuvé par la seule FNSC. Malgré ce rejet local, il a été cependant voté au Parlement par la seule Assemblée nationale à majorité socialo-communiste en septembre 1984, le Sénat s’y étant opposé.

Les élections territoriales du 18 novembre 1984 qui lançaient la mise en place des nouvelles institutions ont marqué l’entrée officielle de la Nouvelle-Calédonie dans la douloureuse période dite des « Événements » avec un RPCR uni et fédérateur à la pointe du combat.

1984: La Nouvelle-Calédonie bascule dans la violence

Il est de coutume de dire que la période dite des « Événements » a commencé en novembre 1984 avec les élections mettant en place les institutions du statut Lemoine, statut issu de la Table ronde de Nainville-les-Roches. C’est vrai que ce 18 novembre 1984, la Nouvelle- Calédonie a basculé dans la violence même si depuis plusieurs années la situation s’était dégradée en matière d’ordre public et de sécurité des personnes et des biens dès lors qu’était apparue la revendication indépendantiste.

Le statut Lemoine était loin de faire consensus. Inspiré de la déclaration de Nainville-les- Roches que Jacques Lafleur et le RPCR avaient refusé de signer et que seuls les indépendantistes et la FNSC avaient approuvée, ce statut a finalement été rejeté par l’Assemblée territoriale consultée pour avis aussi bien par les élus du RPCR que par ceux du Front indépendantiste. Le voyage en Nouvelle-Calédonie de Georges Lemoine en octobre 1984 dans une dernière mais infructueuse tentative de sauver son statut s’était terminé dans un fiasco.  À l’occasion de ce voyage, Georges Lemoine était « lâché » par les indépendantistes qui refusaient de le rencontrer, mais il annonçait tout de même que les élections territoriales se tiendraient le 18 novembre et qu’elles se dérouleraient au suffrage universel. Aussi mal né, ce statut était voué à être inauguré dans les pires difficultés sans imaginer cependant quelles seraient aussi graves.

Le statut Lemoine se caractérisait par les principales dispositions suivantes.

  • L’exécutif calédonien était confié à un gouvernement composé d’un président élu par l’Assemblée territoriale et de 6 à 9 ministres nommés par le président après approbation de l’Assemblée territoriale ;
  • L’affirmation de l’identité calédonienne, le Territoire pouvant choisir des signes distinctifs pour marquer sa personnalité ;
  • La reconnaissance de la coutume kanak par la création de 6 conseils de pays et d’une assemblée de pays à l’échelle du Territoire ;
  • La création d’un comité État-Territoire dont le rôle était de préparer les conditions dans lesquelles devait s’exercer le droit à l’autodétermination, conditions qui n’avaient pas été arrêtées à Nainville-les-Roches mais conditions explosives car les indépendantistes par la bouche de Jean-Marie Tjibaou avaient souhaité que la limitation du droit de vote aux seuls kanak soit acquise non seulement pour l’exercice de l’autodétermination mais aussi pour les élections à l’Assemblée territoriale.
  • Enfin et c’était le point le plus important, la loi statutaire prévoyait qu’à l’issue d’un délai de 5 ans soit au plus tard en 1989, les populations de la Nouvelle-Calédonie devaient être consultées par voie de référendum pour exercer leur droit à l’autodétermination.

Les élections territoriales fixées au 18 novembre 1984 annonçaient une importante victoire du RPCR soutenu par une majorité de Calédoniens d’autant que nombre d’entre eux qui avaient pu être séduits par la FNSC en 1979 avaient largement lâché ce parti.

C’est dans ce contexte que le 24 septembre 1984 Jean-Marie Tjibaou réunissait tous les indépendantistes dans le FLNKS officiellement créé ce jour-là comme successeur du Front indépendantiste et appelait au « boycott actif » des élections du 18 novembre.

La Nouvelle-Calédonie allait sombrer dans la violence. Des troubles fomentés par le FLNKS éclataient un peu partout sur le Territoire : notamment avec le tour cycliste bloqué à Tibarama et finalement annulé sur décision du haut-commissaire Jacques Roynette, le Relais d’Amoa était incendié, son personnel et des touristes molestés.

Surtout, le jour du vote le 18 novembre le boycott actif était appliqué. Les indépendantistes dressaient des barrages dans certaines communes pour empêcher les électeurs d’aller voter tandis que dans beaucoup de mairies le matériel électoral était détruit. Éloi Machoro, à la mairie de Canala, brisait l’urne avec un tamioc et brûlait les bulletins de vote jetés par terre.

Malgré ce boycott actif du FLNKS, 57,5% des inscrits avaient néanmoins accompli leur devoir électoral (soit 17 points de moins qu’aux précédentes élections territoriales de 1979). Le Rassemblement remportait une énorme victoire avec 34 élus sur les 42 de l’Assemblée territoriale dont les 17 élus de la circonscription sud, 8 des 9 élus de la circonscription ouest, 6 des 9 élus de l’est et enfin 3 des 7 élus des Loyautés. Le LKS de Nidoïsh Naisseline avait participé au vote et obtenu 6 élus tandis que le Front national avait un élu et l’ULO (Union pour la liberté dans l’ordre, alliance éphémère entre la FNSC et des dissidents de l’UC qui refusaient le boycott) n’avait qu’un seul élu dans la circonscription ouest en la personne de Jean-Pierre Aïfa (seul survivant des 7 élus de la FNSC de 1979).

Les événements allaient se précipiter. Le 20 novembre c’était le début du siège de Thio par « l’armée de Machoro », tandis que des heurts entre forces de l’ordre et indépendantistes se produisaient en divers points du Territoire en particulier à Ouvéa, à Ponérihouen, à Ouégoa.

Après la mise en place de l’Assemblée territoriale restait à élire l’exécutif calédonien. Le RPCR Dick Ukeiwë (qui en septembre 1983 avait été élu sénateur face au sortant FNSC Lionel Cherrier, soutenu par les indépendantistes) devenait président du nouveau gouvernement le 23 novembre et nommait des ministres tous RPCR dont la nomination était approuvée par l’Assemblée territoriale.

Le 1er décembre à La Conception un gouvernement provisoire de Kanaky était constitué avec Jean-Marie Tjibaou à sa tête tandis qu’était levé pour la première fois le drapeau kanaky. Le même jour à Paris François Mitterrand en Conseil des ministres nommait Edgard Pisani haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie en remplacement de Jacques Roynette (un ancien instituteur militant et élu socialiste qui avait été envoyé en octobre 1982 sans expérience et pour son premier poste en Nouvelle-Calédonie en remplacement de Christian Nucci).

Face à Pisani et à sa politique le RPCR uni et renforcé dans les épreuves avait de nouveaux combats à mener. Il y était prêt.

1985: L'année Pisani

Après les élections de la violence du 18 novembre 1984 et alors que le 1er décembre, à la Conception, Jean-Marie Tjibaou devenait le président du gouvernement provisoire de Kanaky constitué le même jour, à Paris, François Mitterrand en Conseil des ministres nommait Edgard Pisani haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie en remplacement de Jacques Roynette. Doté de tous les pouvoirs civils et militaires, Edgard Pisani arrivait à Nouméa le 4 décembre 1984.

Sur le Territoire, la situation ne cessait de s’aggraver dans une atmosphère de guérilla : blocus de Thio organisé par Éloi Machoro, incendies et pillages de maisons de colons en brousse, barrages et contre-barrages en divers points du Territoire, fusillade de Tiendanite qui faisait 10 morts du côté du FLKS dont 2 frères de Jean-Marie Tjibaou le lendemain même de l’arrivée de Pisani. Des réfugiés chassés de chez eux par des militants du FLKS affluaient à Nouméa ou dans ses environs en provenance de l’Intérieur ou des îles Loyauté. Le Noël 1984 et la nuit de la Saint-Sylvestre se déroulaient dans cette atmosphère de peur : les trois explosions qui avaient secoué des bâtiments publics de Nouméa (dont la grande poste) n’étaient pas celles de la joie traditionnelle des feux d’artifice. Alors que Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou appelaient à la paix, partout des milices étaient constituées dans les deux camps.

C’est dans ce contexte que Pisani dévoilait son plan pour solutionner le problème calédonien par une déclaration télévisée le 7 janvier 1985. Son projet : concilier la France et l’indépendance par l’indépendance-association sur la base de l’article 88 de la Constitution. Il prévoyait l’organisation en juillet d’un référendum local qui donnerait aux Calédoniens le choix entre le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France ou la création d’un État indépendant associé à la France. Son plan, Edgard Pisani avait eu l’occasion de le dévoiler lors d’un déplacement à Ouvéa quelques jours auparavant. Débarquant sur l’aérodrome d’Ouloup et accueilli par Simon Loueckhote, alors jeune militant du RPCR et farouche anti-indépendantiste et qui était depuis 1983 conseiller municipal d’Ouvéa, Pisani convaincu qu’un kanak ne pouvait être qu’indépendantiste annonçait à Simon : « je suis venu vous apporter l’indépendance ». Il a dû être étonné par la réponse de Simon Loueckhote « l’indépendance nous n’en voulons pas ».
Le RPCR notamment par la voix de son président Jacques Lafleur s’opposait au plan Pisani qui prévoyait en juillet un référendum d’autodétermination portant sur un maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France ou sur une indépendance-association. Le FLNKS réuni en congrès à Nakéty le 9 février 1985 rejetait aussi ce plan car pour cette mouvance, dans « indépendance- association » il y avait un mot de trop, « association ».

La proposition Pisani loin de calmer la situation aggravait encore les tensions. Le décès du jeune Yves Tual assassiné le 11 janvier sur la propriété familiale par des hommes de Machoro, puis la neutralisation par le GIGN d’Éloi Machoro près du plateau de Dogny le 12 janvier 1985 (alors qu’avec ses hommes il préparait de faire le siège de La Foa après celui de Thio) illustraient cette aggravation. Le couvre-feu était imposé dans le cadre d’un état d’urgence qui allait durer jusqu’en juin, l’État pensant que le règlement de la question statutaire était subordonné à l’ordre public.
Le 19 janvier François Mitterrand Président de la République arrivait en Nouvelle Calédonie pour renforcer le pouvoir contesté et chancelant de Pisani. Le RPCR qui s’imposait comme le principal rempart contre l’indépendance organisait à Nouméa avec les autres partis non indépendantistes une manifestation monstre pour la venue du Président de la République. 40.000 personnes dans les rues du chef-lieu, une marée humaine et tricolore toutes ethnies confondues pour signifier au Chef de l’État la volonté de paix et du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France. Finalement François Mitterrand n’a passé que 10h en Nouvelle-Calédonie, le temps de rencontrer une délégation du FLKS avec Jean-Marie Tjibaou et à Kouaoua, une tribu kanak qui était… loyaliste.
En réplique au plan Pisani, le RPCR par la voix de Dick Ukeiwë au Sénat avait proposé un statut de type fédéral pour la Nouvelle-Calédonie dans la France. Avec l’État maintenu dans ses compétences régaliennes, l’unité du Territoire incarnée par un président qui pourrait être élu au suffrage universel et un congrès en remplacement de l’Assemblée territoriale, une régionalisation reconnaissant la personnalité juridique de 3 ou 4 régions en Nouvelle-Calédonie et enfin la création d’un Sénat coutumier disposant d’un pouvoir consultatif dans les matières touchant aux règles coutumières.

Les jours se suivaient toujours dans un climat de violence et les manifestations se succédaient contre Pisani. Paris a compris que Pisani à Nouméa était une source de blocage. En mai 1985 il était nommé ministre délégué en charge de la Nouvelle-Calédonie auprès du Premier ministre Laurent Fabius tandis qu’à Nouméa il était remplacé comme haut-commissaire par un diplomate de carrière et aguerri, Fernand Wibaux.

Alors qu’en Nouvelle-Calédonie la violence se généralisait avec des affrontements, des assassinats, des incendies, des barrages, des opérations militaires dans un climat de guerre civile, à Paris Pisani poursuivait son plan en préparant un statut provisoire en attendant une consultation sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie devant se tenir au plus tard le 31 décembre 1987. Ce statut dit Fabius-Pisani mettait fin à l’organisation institutionnelle issue du statut Lemoine seulement 9 mois après son entrée en application.
Ce statut créait 4 régions : Nord, Centre, Sud, Îles Loyauté avec un découpage géographique favorable aux indépendantistes, avec par exemple l’Île des Pins, Yaté et Thio dans la région Centre ; ces régions étaient administrées par des conseils de région dont la réunion formait le Congrès du Territoire. L’exécutif restait dans les mains du haut-commissaire secondé par un conseil exécutif dirigé par le président du Congrès et où siégeaient aussi les 4 présidents des conseils de région. Il créait enfin des conseils coutumiers dans chaque région ; leur réunion formait le Conseil coutumier territorial. Consultée pour avis sur ce projet de loi statutaire, l’Assemblée territoriale le rejetait le 31 mai 1985, le RPCR bien sûr et le FNKS s’y étaient opposés. La FNSC ou ce qu’il en restait, qui avait déjà pris position en faveur de l’indépendance- association, approuvait le statut Fabius-Pisani.

Ce statut voté au Parlement à Paris contre l’avis de l’Assemblée territoriale devint la loi statutaire du 23 août 1985. Sa mise en application eut lieu lors des élections régionales du 29 septembre suivant. Cette fois-ci, le FNKS décidait de ne pas les boycotter permettant à la participation de monter à 80,6% des inscrits.

Le RPCR était une nouvelle fois vainqueur avec 26 sièges sur les 46 du congrès correspondant à 53,48% des suffrages exprimés sur l’ensemble du Territoire. 3 élus FN complétaient le score des non-indépendantistes. Le FLNKS obtenait 16 sièges et un siège allait au LKS de Nidoish Naisseline. Dans la région Sud la liste RPCR menée par Jacques Lafleur obtenait 70,6% des suffrages exprimés et 17 des 21 membres du Conseil de région. Mais le FLNKS dirigeait les 3 autres régions, ce qui était attendu pour les régions Nord et Loyauté mais a été possible dans la région Centre par le maintien d’une liste OPAO commune à la FNSC et dirigée principalement contre celle du RPCR menée par Dick Ukeiwë, là où les 2 camps étaient à peu près équilibrés et où le RPCR avait une chance de l’emporter malgré le découpage Pisani.… C’était déjà le temps des groupes charnières jouant au faiseur de roi et une fois de plus il avait été vérifié que quand on joue au groupe charnière on finit par jouer au « gond ».

 

L’année Pisani s’achevait par un scrutin qui avait montré que 64% des Calédoniens par leur vote étaient favorables au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France. Face à Pisani et à son plan le RPCR avait prouvé sa détermination à défendre dans des temps difficiles ce pourquoi il était né. Mais l’histoire n’était pas finie.
À suivre…

Suite à venir ....

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